S’offrir la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, c’est bien. S’offrir aussi la Maison symphonique le même jour, c’est mieux. C’est ce qu’a réalisé l’Islandaise Laufey en présentant sa supplémentaire (Maison symphonique) en matinée, samedi, au Festival de jazz, avant de reprendre le chemin des planches (Wilfrid-Pelletier, concert initial) en soirée. Pas banal.
Artiste propulsée au rang de vedette populaire internationale en partie grâce à Tik Tok et la légion de jeunes femmes et d’adolescentes qui vont la voir, l’autrice-compositrice interprète et multi instrumentiste n’a certes pas volé son succès.
Si elle a souligné en après-midi (le concert que nous avons vu) à la foule qu’elle doit son succès à cette dernière qui adopte autant ses compositions de tendances pop, jazz, ou d’allégeance classique – sa formation de base -, force est d’admettre qu’elle maîtrise à 25 ans tous les codes de ces genres respectifs.
Dans son ensemble une pièce qu’aurait assurément porté Diana Rigg dans la série télévisée des années soixante Chapeau melon et bottes de cuir, Laufey a alterné avec autant de facilité les instruments (piano, violoncelle, guitare) que les styles.
Source: Laufey/Frédérique-Ménard Aubin/FIJM
Elle peut aussi se transformer exclusivement en interprète avec le concours de quatre musicien(ne)s (guitare, contrebasse, batterie, claviers) et du quatuor à cordes qui l’accompagnait. Ce qu’elle a fait durant la splendide Dreamer quand bon nombre de ses phrases étaient ponctuées d’un geste de la main, d’un sourire coquin ou de déplacements qui semblaient aussi léger que l’air.
L’amour, toujours l’amour
Comme des millions d’artistes avant elle – et sûrement autant à venir -, Laufey décline l’amour sous toutes les formes dans ses chansons, à moins que ça ne soit par l’entremise de reprises qui ont fait époque. Avec son violoncelle et avec le concours du quatuor à cordes, un monument comme I Wish You Love a été somptueux.
Parfois, elle lie même le passé à son présent. Après avoir livré les premières mesures de Misty au piano, elle a bifurqué avec sa tendre Like the Movies qui a charmé l’assistance avant de revenir à son point de départ et de conclure avec le dernier couplet de l’immortelle d’Erroll Garner.
Bonne raconteuse, Laufey s’est servie de l’histoire de ce type à qui elle n’a finalement jamais parlé pour introduire Beautiful Stranger, un moment fort du concert. Goddess, amorcée toute en douceur au piano, s’est bouclée avec une montée en puissance qui n’était pas sans rappeler certains orages sonores de Radiohead.
À l’inverse, Bewitched, toute en retenue, était digne d’une trame sonore cinématographique, rayon ambiances. D’un raffinement exquis. Pas de retenue en revanche pour l’entraînante From the Start avec ses effluves bossa nova qui nous ramènent presque à la fille d’Ipanema. La foule en a profité pour chanter avec l’Islandaise qui l’avait encouragé cette dernière à le faire.
Source: Maurin Auxéméry du FIJM et Laufey/Frédérique Ménard-Aubin/FIJM
Laufey a terminé tout en délicatesse avec Letter To My 13 Year Old Self, chanson qui lui rappelle aujourd’hui qu’il ne fallait pas s’en faire avec ses tracas d’adolescente et de ne jamais renoncer à son rêve de devenir une chanteuse.
En recevant le prix Ella-Fitzgerald 2024 (en soirée) et en se produisant le même jour dans les deux plus grosses salles de la Place des Arts à Montréal, la Laufey de 25 ans peut dire à celle de 13 ans : mission accomplie.
La haute voltige
Une trompette et une contrebasse. Voilà la proposition commune d’Ambrose Akinmusire (le souffleur) et de Dave Holland (le bassiste) au théâtre Jean-Duceppe. Une combinaison pas évidente, en vérité. Et pourtant, pendant toute l’heure passée avec eux, les deux hommes et leurs instruments ont été partenaires, duettistes et complémentaires, tout à la fois.
Source: Ambrose Akinmusire/Frédérique Ménard-Aubin/FIJM
La première pièce, au tempo plutôt lent, aura servi de repérage. Elle aura mené à des partages, mais à peu d’échanges, comme si les instruments discouraient chacun de leur côté sans vraiment dialoguer. Situation corrigée dès la seconde instrumentale, au tempo frénétique, notamment en raison des attaques franches d’Akinmusire.
Plus le concert avançait, plus le jeune quarantenaire et le légendaire contrebassiste de 77 ans se répondaient et se relançaient. À un moment, Holland a repris le rôle classique de métronome rythmique, ce qui a permis à Akinmusire de briller en tissant des lignes mélodiques. Parfois, les deux formidables instrumentistes allaient à la limite de leurs instruments.
Source: Akinmusire et Holland/Frédérique Ménard-Aubin/FIJM
En définitive, ce concert de haute voltige n’était pas à la portée de tous, mais les salves d’applaudissements et quelques cris d’extase en disaient long sur l’effet provoqué par le duo atypique.
Chanter sous la pluie… ou presque
Après des Francos sans faute, rayon intempéries, il fallait bien que ça arrive. La flotte, à part de courtes accalmies, a été de la partie toute la journée au centre-ville de Montréal, mais elle a pris une pause durant le concert extérieur de Dominique Fils-Aimé.
Celle qui s’était fait offrir par le FIJM la grande scène de la Place des festivals un samedi soir - un genre de consécration – n’a pas raté sa chance. La Montréalaise a bâti sa carrière à coups d’albums thématiques, notamment avec sa trilogie (Nameless, Stay Tuned!, Three Little Words) portant sur les racines de la musique noire, et tous les albums étaient représentés, ainsi que son plus récent Our Roots Run Deep.
Source: Dominique Fils-Aimé/Victor Diaz Lamich/FIJM
Avec un groupe soudé au possible et une chorale du tonnerre, Dominique Fils-Aimé a démontré son étendue vocale et la richesse de son œuvre musicale. Freedom était aussi puissante que Cheers To a New Beginning était vibrante avec sa trompette éclatante.
En fin de parcours, avec les choristes autour d’elle, elle a interprété sa toute récente Moi, je t’aime. Le temps s’est presque arrêté et l’amour était vraiment dans l’air en dépit du fait que des milliers de festivaliers pataugeaient dans l’eau. Et que dire du coup de cœur de Joy River. Plus gospel que ça, tu te trouves dans une église de Harlem ou du Sud des États-Unis.
En définitive, même les éléments n’auront pu freiner la Montréalaise.