La première fois que Grand Corps Malade est venu à notre rencontre, nous étions à la salle Wilfrid-Pelletier, lors des FrancoFolies de Montréal, à l’été 2007. Le Français était alors la nouveauté du moment : un artiste international, jeune slameur, handicapé à vie en raison d’un terrible accident, dont les mots, le verbe et la puissance d’évocation nous avaient renversés.
Vendredi soir, dans un MTelus plein à craquer en configuration tables et chaises, Grand Corps Malade, dont le temps ne semble guère avoir d’emprise sur lui, a offert le premier de deux spectacles dans cette salle, coup d’envoi d’une tournée québécoise de plusieurs mois. Mais cette fois, il n’est plus un artiste qui met sept heures d’avion pour venir nous voir, mais bien un Montréalais d’adoption.
Fabien Marsaud s’est établi à Montréal depuis l’été dernier, comme Daran l’a fait avant lui et à long terme depuis longtemps. Ce n’est pas anecdotique. Pour ceux qui suivent GCM depuis ses débuts, le ressenti à l’écoute de certaines anciennes chansons n’est plus le même.
Source: GCM est accompagné de trois musiciens/Susan Moss/Courtoisie Spectra
Prenons Saint-Denis, tirée du tout premier disque, Midi 20 (2006), interprétée très tôt vendredi En 2007, nous écoutions cette ode à sa banlieue qui était son présent. Aujourd’hui, c’est son passé. Il a d’ailleurs expliqué qu’il a longtemps fait impasse sur cette chanson en raison du dernier vers qui est une vacherie envers les Parisiens… ce qu’il est devenu par la suite.
«Je peux la chanter de nouveau, maintenant que je vis à Montréal», a-t-il rigolé
Idem pour Montréal, la chanson qu’il avait composée lors de sa troisième tournée chez nous, en 2010. À l’époque, c’était son clin d’œil aux gens d’ici et à une ville qu’il avait adoptée d’emblée, et réciproquement. Quand il l'a chantée hier soir, j'ai eu l'impression que le tonnerre d’applaudissements a salué autant l’œuvre que la fierté de l’avoir comme nouveau voisin.
Ce qui n’a pas changé, c’est la qualité intrinsèque de ses œuvres qui font mouche avec une précision chirurgicale et un à-propos toujours d’actualité, comme l’ont démontré toutes les chansons de son plus récent album, Reflets (2023).
«On est un peu le miroir les uns des autres. On se ressemble», note celui qui mêle amour et humour avec aisance.
Source: GCM n'avait pas offert de spectacle à Montréal depuis 2018/Susan Moss/Courtoisie Spectra
J’ai vu de la lumière, interprétée en ouverture, résume sa rencontre avec le slam il y a plus de deux décennies.
Regard dans le rétroviseur, donc.
La sagesse, chanson d’autodérision d’un type dans la quarantaine, démontre que Grand Corps Malade accumule les berges: «J'ai atteint cet âge où j'me dis qu'la télé c'était mieux avant/Que l'rap, c'était mieux avant, que moi, c'était mieux avant./Le problème des jeunes, c'est pas qu'ils s'amusent pas/Le vrai problème de la jeunesse, c'est qu'elle s'amuse sans moi.»
Regard lucide sur le moment présent.
Parfois, certains de ses titres d’antan sont malheureusement toujours d’actualité. Trop, en fait. Notamment Roméo kiffe Juliette, écrite il y a 15 ans, qui parle de cet amour impossible entre un musulman et une juïve.
Tantôt, ce sont des chansons récentes qui sont trop réalistes: 2083, où le petit-fils de Grand Corps Malade lui écrit pour lui parler des catastrophes écologiques et climatiques – villes célèbres englouties, mercure à 60 Celsius, masques à oxygène – ne semble pas si éloignée que ça.
Source: Moment magique avec GCM/Suan Moss/Courtoisie Spectra
Grand Corps Malade rend hommage à Charles Aznavour dont il a réalisé le film biographique Monsieur Aznavour avec À chacun sa bohème, chanson originale charpentée sur la musique de La bohème avec apport vocal et visuel – ombres chinoises – du grand disparu. Moment presque aussi magique que la partage avec le public du refrain de Retiens les rêves, avec les cellulaires illuminant la salle.
Quand on vit à Montréal, on fait comme les artistes de chez nous: on invite les copains. Ici, ce fut une copine, Marie-Mai, avec laquelle GCM a partagé Mais je t’aime. Excellente idée d’avoir essentiellement chanté en alternance plutôt qu’à l’unisson, tant les timbres des deux artistes sont dans des registres vocaux aux antipodes.
Source: Marie-Mai et GCM/Susan Moss/Courtoisie Spectra
Rayon partage, il y a aussi eu le très jeune rappeur MCO - en fait, le fils de GCM - qui chanté avec son paternel C’est moi qu’écrit mes textes. Fort sympa. La relève est assurée.
Lorsque Grand Corps Malade a bouclé son spectacle de 90 minutes avec une Deauville à rallonge qui évoque son grand amour, on avait franchement l’impression de voir une finale toute québécoise, d’autant plus que l’excellent trio d’instrumentistes qui accompagne le Français – Gabriel Thibeault (claviers), Maxime Boivin (guitare/basse) et Sarah Dion (batterie) – ainsi que l’artiste de première partie – Billie du Page - sont tous de chez nous.
Et pour ses premiers concerts à Montréal en plus de six ans, Grand Corps Malade avait de quoi se réjouir. Pas d’avion à prendre. Un taxi a suffi.